Au moment où le Président Kaïs Saïed participe au Forum sino-arabe qui se tient cette année dans la capitale chinoise, nous avons le privilège de discuter avec M. Anouar Chetoui, représentant de l’Office national du tourisme tunisien en Chine, de la relation solide entre les deux pays dans ce secteur. Nous aborderons également les moyens de renforcer cette relation, l’importance stratégique de ce marché pour la Tunisie, ainsi que les attentes spécifiques liées à cette visite présidentielle. Parmi ces attentes, nous explorerons la possibilité de lancer une ligne aérienne directe entre Tunis et Pékin, la création d’une unité hôtelière chinoise en Tunisie et la possibilité de l’exemption de visa d’entrée en Chine pour les Tunisiens. Interview
Quelles sont les principales motivations qui poussent les touristes chinois à visiter la Tunisie ?
Pour commencer, il convient de noter que le marché chinois est le premier marché émetteur de touristes à l’échelle mondiale, avec plus de 170 millions de voyageurs enregistrés en 2019. Du fait de l’essor de la classe moyenne chinoise et de l’augmentation significative des voyages internationaux, ce marché constitue une attraction majeure pour les grandes destinations touristiques mondiales, dont la Tunisie.
Afin d’attirer un nombre croissant de touristes chinois, la Tunisie a dispensé ces derniers des formalités de visa depuis 2017. Cette mesure a été fructueuse, faisant passer le nombre de visiteurs chinois de 9.000 en 2017 à plus de 30.000 en 2019. Avant la pandémie de Covid-19, nos prévisions tablaient sur l’accueil de 50.000 visiteurs chinois en 2020. Pour 2024, nous visons un retour aux chiffres de 2019, ce qui constituerait un excellent résultat pour la première année de reprise post-pandémie.
Pour répondre à votre question et pour renforcer cette collaboration, nous travaillons sur plusieurs fronts. D’une part, nous mettons en avant les aspects culturels et touristiques, ainsi que les investissements dans ce secteur. Notre stratégie de marketing et de promotion s’appuie largement sur la digitalisation, notamment par la création de contenu sur les réseaux sociaux chinois en partenariat avec des influenceurs locaux. Par ailleurs, nous organisons des voyages de presse pour convier des médias chinois en Tunisie, afin de mettre en lumière la diversité de notre offre touristique et culturelle, du nord au sud du pays.
En outre, les touristes chinois sont particulièrement attirés par la richesse culturelle, les sites historiques et archéologiques, ainsi que par les sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ils apprécient également l’hospitalité et la générosité des Tunisiens, qui sont très bien perçues par rapport à d’autres destinations.
Nous mettons également en avant la qualité de nos services hôteliers et les nouvelles tendances en matière d’hébergement comme les maisons d’hôtes et les gîtes ruraux. Les touristes chinois, notamment en petits groupes, sont friands d’écotourisme et de formes alternatives de tourisme, tout en manifestant un vif intérêt pour l’artisanat tunisien, comme le verre soufflé, la mosaïque et la poterie.
Enfin, la position géographique de la Tunisie permet aux touristes asiatiques de combiner leur visite avec d’autres destinations telles que la France, l’Italie, le Maroc, l’Égypte, les Émirats, la Turquie, le Qatar et l’Espagne. Les feedbacks des touristes chinois sont très positifs depuis des années, comparativement à d’autres destinations, ce qui confirme la satisfaction et l’attrait de la Tunisie sur le marché touristique chinois.
Comment la Tunisie s’adapte-t-elle pour attirer davantage de touristes chinois, compte tenu de l’évolution des attentes des clients et de la concurrence accrue sur le marché touristique ?
Les préférences et attentes des touristes chinois se distinguent de celles des touristes européens, russes, et d’autres origines. Alors que la plupart des visiteurs en Tunisie adoptent souvent un mode de séjour semi-sédentaire, privilégiant les séjours dans des complexes hôteliers tout inclus, les touristes chinois se montrent particulièrement exigeants en matière d’information et d’expérience culturelle.
Lorsqu’ils explorent des sites culturels, les touristes chinois recherchent des informations détaillées et précises. Par exemple, ils attendent des guides fournissant des explications complètes lors de visites à des endroits emblématiques comme Carthage ou Dougga, des lieux qui étaient auparavant moins accessibles aux visiteurs. Aujourd’hui, ces touristes attendent une immersion similaire, avec des informations approfondies à chaque étape de leur voyage.
Leur intérêt pour la culture locale se manifeste également dans leurs attentes vis-à-vis des hôtels, où la propreté et l’entretien soigné sont primordiaux. Ils cherchent à découvrir la gastronomie tunisienne authentique, s’intéressant aux plats traditionnels et à leurs origines, ainsi qu’aux ingrédients locaux. Leur exigence dépasse ainsi la simple qualité des hébergements pour englober une expérience immersive dans la culture et l’histoire locales.
Par ailleurs, les touristes chinois se démarquent par leur esprit d’exploration nomade à travers la Tunisie, incluant des destinations variées telles que Tunis, Hammamet, Sousse, Matmata, le Sud tunisien avec Douz et Tozeur, ainsi que de nombreux sites culturels et historiques majeurs. Malgré des fluctuations de fréquentation post-2011, ces lieux regagnent progressivement leur attrait, notamment auprès des voyageurs indépendants avides de découvertes authentiques telles que le trekking, le camping sous les étoiles, et l’immersion dans le mode de vie nomade.
De plus, une nouvelle tendance émerge parmi la jeune génération de touristes chinois, avec un intérêt croissant pour les plages tunisiennes. Des itinéraires incluant des destinations comme Djerba et Tunis, souvent desservies par des vols directs vers Djerba, attirent particulièrement les jeunes mariés et les voyageurs en quête d’aventures variées sur une durée de cinq à dix jours.
Ces visiteurs chinois valorisent également l’artisanat local, l’histoire et les traditions tunisiennes, contribuant ainsi à la promotion de la destination à travers leurs partages sur les réseaux sociaux. Leur engagement en tant qu’influenceurs numériques amplifie la visibilité de la Tunisie, renforçant ainsi l’importance de satisfaire leurs attentes croissantes dans un marché touristique compétitif.
Et en dépit d’un démarrage tardif sur le marché asiatique, l’effort constant pour attirer davantage de touristes chinois et répondre à leurs attentes spécifiques marque une évolution significative dans la coopération touristique entre la Tunisie et la Chine, visant à faire de la Tunisie une destination de prédilection pour cette clientèle exigeante.
Quelles initiatives concrètes ont été prises pour promouvoir davantage ce secteur ?
Nous avons mis en place plusieurs initiatives pour fidéliser notre clientèle existante et attirer de nouveaux touristes. En particulier, nous avons identifié le marché chinois comme ayant des caractéristiques uniques, distinctes des marchés classiques tels que le marché européen. Les attentes des touristes chinois diffèrent considérablement, nécessitant des canaux de communication et des offres spécifiques.
En novembre dernier, nous avons organisé un forum régional en Tunisie avec l’ONG chinoise World Tourism Cities Federation (WTCF). Nous avons invité des experts, des tour-opérateurs, des médias et des professionnels chinois de l’industrie aérienne pour former nos partenaires tunisiens. Ces formations ont permis de mieux comprendre les attentes spécifiques des touristes chinois, comme les petits chaussons, l’eau chaude, le thé et l’humidificateur dans les chambres, surtout en été, dans les régions arides.
Nous avons également organisé un atelier entre les agences de voyages tunisiennes et les opérateurs chinois pour discuter encore une fois de la nécessité d’une ligne aérienne directe, un élément crucial pour augmenter le nombre de touristes chinois en Tunisie. Durant ce forum, des négociations ont eu lieu entre Tunisair et Beijing Capital International Airport Company Limited, aboutissant à la signature d’un protocole d’accord pour l’ouverture de négociations. Nous espérons établir cette ligne aérienne d’ici 2025.
Par ailleurs, à l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Chine, nous avons rencontré China Southern Airlines pour discuter d’un accord de partage de codes avec Tunisair. Ce partenariat permettra aux passagers de voyager facilement entre la Chine et la Tunisie, avec un seul enregistrement pour l’ensemble du voyage. Cela simplifiera le trajet et augmentera l’attrait de la Tunisie comme destination touristique pour les Chinois.
Ces initiatives devraient avoir des retombées positives significatives, en facilitant les voyages et en répondant mieux aux attentes des touristes chinois. Le renforcement de notre collaboration avec les compagnies aériennes chinoises et l’amélioration de notre offre touristique contribueront à faire de la Tunisie une destination privilégiée pour les voyageurs chinois.
Quels sont les défis concernant l’établissement d’une ligne aérienne directe entre Tunis et Pékin ?
Selon nos discussions avec les tour-opérateurs et nos partenaires en Chine, la nouvelle ligne aérienne entre les deux pays sera un succès. Ce marché est immense, avec une capacité aérienne de 400 à 500 sièges par vol, et trois vols par semaine. Un seul tour-opérateur pourrait déjà remplir cette capacité. Lors de la visite du directeur général, nous avons rencontré CYTS (China Youth Travel Service), l’un des plus grands tour-opérateurs chinois. Ils nous ont encouragés à établir cette ligne aérienne, nous assurant que le taux d’occupation ne serait pas un problème.
De plus, il y a une pénurie de guides parlant le mandarin en Tunisie. Chaque année, nos instituts forment de nouveaux guides, mais nous avons besoin d’un plus grand nombre. La situation rappelle le début de notre ouverture au marché russe. CYTS et d’autres tour-opérateurs ont proposé d’offrir des stages aux guides tunisiens en Chine pour mieux comprendre les attentes des clients chinois.
Nous avons également discuté de la formation de nos chefs de cuisine tunisiens. Les touristes chinois apprécient découvrir la cuisine locale, mais souhaitent aussi retrouver certains plats chinois. En 2019, deux chefs tunisiens ont été formés en Chine pour maîtriser la gastronomie chinoise. Cette initiative a renforcé notre offre culinaire, un élément crucial pour attirer les touristes chinois.
Comment interprétez-vous les intentions chinoises dans la haute technologie et l’intelligence artificielle ?
L’un de nos points forts est notre capacité à interpréter les intentions de la Chine, qui exprime clairement son désir de développement dans divers domaines. Ils sont incontestablement compétents et innovants, ce qui constitue une opportunité que nous devons saisir pleinement. Par ailleurs, le secteur de la haute technologie et de l’intelligence artificielle représente un domaine où la Chine est en avance, ce qui souligne l’importance de la digitalisation. L’électronique et les autres technologies associées jouent un rôle crucial dans cette évolution.
Cependant, il est important de noter que les données brutes ne suffisent pas à elles seules. La capacité à interpréter et à utiliser ces données de manière stratégique est essentielle. Par exemple, comprendre les comportements des consommateurs et anticiper leurs besoins futurs est une clé pour une intervention efficace. La digitalisation et le développement de l’infrastructure sont donc des priorités majeures, que ce soit pour créer un hub reliant différentes régions ou pour favoriser l’exportation de produits agricoles, comme c’est le cas en Tunisie avec la coopération chinoise dans ce domaine.
Nous avons progressivement sensibilisé nos partenaires chinois à ces enjeux, notamment à travers des forums et des collaborations avec des investisseurs, des professionnels du voyage et de l’hôtellerie. Ces efforts ont permis d’attirer des fonds d’investissement et d’engager des discussions fructueuses pour renforcer nos relations et favoriser le développement économique mutuel.
Comment la valeur ajoutée a-t-elle été renforcée dans le secteur touristique grâce à l’initiative de la nouvelle route de la soie ?
L’intégration de l’initiative depuis 2018 a engendré d’importants changements et projets de collaboration. Des réalisations notables dans plusieurs secteurs ont vu le jour grâce à nos partenaires chinois, tels que l’Académie diplomatique et l’hôpital de Sfax, ainsi que des infrastructures comme le barrage de l’oued Mellègue et la cité sportive de Ben Arous, parmi d’autres projets à venir.
Cette collaboration a apporté une valeur ajoutée significative dans le domaine touristique. Nous travaillons en étroite collaboration avec les ministères du Tourisme et de la Culture pour organiser des événements promotionnels en Chine, mettant en avant la richesse culturelle de la Tunisie. Nous favorisons également des programmes de formation en Chine, offrant des stages aux guides, chefs cuisiniers tunisiens, ainsi qu’à des professionnels, contribuant ainsi au développement des compétences et à l’échange culturel.
Nous nous positionnons en tant que pionniers dans des domaines tels que le tourisme médical, où des progrès notables ont été réalisés. Parallèlement, nous explorons de nouvelles opportunités d’investissement, soulignant notre engagement à diversifier notre offre touristique et à répondre aux attentes des voyageurs chinois et d’autres marchés internationaux.
Nos efforts promotionnels incluent des voyages de presse visant à mettre en lumière nos produits touristiques classiques et émergents, tels que le golf haut de gamme. Nous travaillons également sur l’intégration de nouvelles zones touristiques, comme le nord-ouest et la région de Bizerte, afin d’exploiter pleinement leur potentiel et de répondre aux besoins des voyageurs en quête d’authenticité et de découvertes uniques.
L’événement marquant de cette année est la visite de notre président en Chine. Quels impacts la visite présidentielle en Chine pourrait-elle avoir sur le secteur touristique en Tunisie ?
Parmi les attentes de cette visite historique, figure la discussion sur la création d’une nouvelle chaîne hôtelière chinoise en Tunisie. Le recours à un partenariat public-privé semble être privilégié, bien que cela ne soit pas strictement un partenariat de ce type. L’objectif est de tirer parti d’un éventail de compétences des deux pays. Il est crucial de tenir compte de tous les aspects compétitifs. Il existe une distinction entre les compétences chinoises et tunisiennes, ce qui nécessite une utilisation judicieuse de chaque type de compétence. Chaque pays a ses propres règles et réglementations, notamment en ce qui concerne la qualité des services, les normes de décoration et autres standards. Cependant, les différences entre ces normes ne sont pas majeures. Il est également important de prendre en considération les aspects culinaires, tels que les différences entre un restaurant chinois et un restaurant tunisien, qui reflètent les diversités régionales et leurs spécificités. Dans ce contexte, en tant que professionnel du secteur, il est pertinent de se demander s’il est préférable de mettre l’accent sur la gestion ou sur la construction. La question cruciale sera de déterminer quelle approche serait la plus bénéfique pour le pays. Pour nous, l’investissement est bien sûr une considération primordiale. Outre les avantages directs, il est essentiel de prendre en compte les retombées indirectes telles que la création d’emplois et les opportunités de développement local. Investir en Tunisie offre des avantages évidents, ce qui pourrait être un élément clé pour concrétiser ce projet qui pourrait se concrétiser dans un avenir proche, notamment grâce à la mise en place d’un code d’investissement visant à faciliter les démarches nécessaires en Tunisie. Par ailleurs, la stabilité politique actuelle crée un environnement propice à l’investissement, ce qui pourrait conduire à une amélioration continue de la capacité d’investissement dans le développement à venir.
Quels sont les autres espoirs pour le secteur touristique à l’occasion de cette visite ?
Nous avons des attentes considérables, tant en ce qui concerne le tourisme que l’économie, la technologie, l’infrastructure… Nous avons toujours envisagé de combler nos déficits grâce au tourisme, une perspective qui se révèle accessible. Nous avons déjà réussi à compenser relativement ces manques grâce à l’activité touristique.
La Tunisie n’est pas la seule à faire face à des déficits ; plusieurs pays en souffrent. Néanmoins, dans le domaine du tourisme, des orientations sont possibles. Notre objectif est donc de pallier nos déficits grâce à l’essor du tourisme. Lorsque nous aurons atteint par exemple les 500.000, voire 1 million de touristes chinois, il s’agira d’un chiffre non négligeable. En 2019, l’Égypte a accueilli 600.000 touristes chinois, bénéficiant de liaisons directes avec Pékin, Shanghai, Chengdu, Guangzhou et Hong Kong.
Nous aspirons à établir des vols long-courriers. C’est un projet que nous envisageons de concrétiser avec leur appui, bien évidemment. Atteindre les 500.000 touristes chinois serait déjà une avancée significative. Nous pourrions également envisager d’exploiter cette opportunité en basse saison, par exemple en octobre, pour accueillir cette clientèle. Nous pourrions ainsi leur proposer des séjours dans nos hôtels, maisons d’hôtes…, tout comme nous le faisons pour stimuler l’économie locale et les autorités touristiques. Nous attendons donc des accords qui dynamisent de manière notable le secteur du tourisme et de l’économie.
Finalement et non moins important, notre attention est aussi dirigée vers la facilitation des voyages des touristes tunisiens en Chine en travaillant à obtenir une exemption de visa. Cette démarche stratégique vise à favoriser une augmentation significative des échanges touristiques entre les deux pays. En permettant aux touristes tunisiens de voyager plus facilement en Chine, nous anticipons un essor du tourisme bilatéral, créant ainsi de nouvelles opportunités économiques et renforçant les liens culturels entre nos nations.
Si nous devions classer nos priorités par ordre d’importance, nous accorderions une attention particulière aux liaisons aériennes, à l’investissement et aux infrastructures hôtelières, et à l’exemption du visa d’entrée pour les Tunisiens. J’espère que cette visite marquera l’histoire, ouvrira la voie à d’autres discussions dans divers secteurs et sera bénéfique à tous égards.